Jour 4
10 juillet, journée noire. La journée est annoncée instable et ensoleillée ce qui me pousse à un départ à 5h pour rejoindre une face Est le plus tôt possible. A 10h, je suis à 2400m avec Nelson et Olivier Laugero venu faire des photos. Nous sommes prêts à décoller, mais tout est bâché par les nuages. La vallée où l'on se trouve est très humide et le plafond nuageux est à notre altitude vers 2 500m. On ne voit pas le soleil donc aucune chance de thermiquer.
Après analyse du GPS, je me rends compte que je ne suis pas tout à fait sur la bonne crête. Je profite de ce temps mort et du vent soutenu pour voler en dynamique et rejoindre la bonne crête quitte à marcher un peu.
Je n'ai pas le droit à l'erreur car si j'arrive trop bas je ne pourrais pas me reposer sur l'autre crête et il faudra poser en fond de vallée 1000m dessous. Ça passe ! Et je remonte au sommet en 15mn, Nelson et Olivier descendent à la voiture en volant. J'attends patiemment que le plafond monte ou simplement un rayon de soleil. Comme tous les jours, l'hélico de la Xalps est là, il me tourne autour et c'est parfois gênant.
Le soleil réapparait. Je temporise et redécolle, mais c'est trop mou, je descends et je suis hors cycle. Je me repose en urgence et de ce fait, je n'ai pas trop de dénivelé à remonter.
Nouvel attente du cycle et du soleil, j'optimise et force le passage. J'arrive bas sur la crête suivante mais il y a un peu plus de soleil et j'arrive à remonter doucement.Il n'y a pas possibilité de poser sur cette crête. Je reste 30mn à prendre 200m pour les reperdre de suite. Je n'ai pas le choix : il me faut 250m pour passer à la crête suivante... à force de persévérer, ça passe et j'arrive à 20m/sol sur cette troisième arête que je remonte comme une balle. Je suis dans le cycle mais tout s'arrête très vite avec la disparition du soleil derrière un nuage. Je pose dans la neige et patiente.
2h plus tard, je décolle dans le cycle. Je prends 50 m, mais en perds ensuite 80,plus qu'à me poser et remonter à pied.
Je suis bloqué dans un verrou, il me faut du gain pour continuer cette face Est et me jeter dans la vallée suivante à 5 ou 10km. II m'est impossible de le faire à pied, car le vent de Nord Est est trop fort et je n'ai aucune chance de pouvoir décoller dans la direction de la vallée en Sud-Ouest. Je sais que le groupe de poursuivants vole depuis 1h30 et est en train de me rattraper.
Maurer est parti de bon matin lui aussi et avance très vite.
J'essaie de contenir ma colère avec cette malchance météorologique. Il suffirait de 30m de plus au plafond pour que je puisse m'extraire rapidement. Il est 13h, quand en l'espace de 10mn, le plafond prend 300m ! Je peux enfin m'en sortir après 3h de perdues pour seulement 2,5km d'avancée.
J'avance sur la crête, un peu moins que prévu, pour me jeter en face Ouest, je sais que le passage va être délicat, car le vent a bien forci, 30km/h de Nord Est.
Je n'ai plus le choix, il faut avancer. J'ai perdu trop de temps. Je passe 50m au-dessus de la crête et je m'attends à une réaction vive de la voile sous le vent. Il faut bien la tenir et je descends fort. Un thermique en +4 me stoppe net et je décide de l'enrouler. Les thermiques sous le vent sont souvent les plus généreux même s'ils sont souvent traitres, je décide d'enrouler, car le vent généré par ce thermique est plus fort que le vent dynamique et me permet de me sortir par le haut de la zone de rouleau.
Je fais un premier tour parfait, mais très attentif, car je suis dans une zone pourrie. Au second tour, je me prends la voile sur la tête et je vois la voile faire une frontale. J'ai mes deux mains avec les commandes aux fesses pour la stopper, mais rien n'y fait. Je pense au secours, mais l'altitude est vraiment juste, j'ai juste le temps de mettre la main pour ne pas me prendre la voile sur la tête ce qui me ferait perdre le contrôle visuel. La voile ré-ouvre aussi vite de façon parfaite et bien ouverte. Je repasse dans la zone moisie car la voile a fait un demi-tour et ce coup je me sens éjecté en 360, j'ai du mal à contrôler mais j'arrive à fuir loin du relief.
J'aperçois une déchirure d'au moins 20cm dans le sharknose de la voile, je ne sais pas sur quelle distance la déchirure continue, la voile a remonté le long des suspentes après la fermeture pour se rouvrir, le frottement à brûler le léger tissu.
À l'altitude de 2000m, le vent faiblit et se réoriente correctement grâce à la brise. Je peux déjà voir les poursuivants au fond de la vallée au nord. Je n'ai plus que quelques kilomètres d'avance. La voile vole moins bien, mais ne me gêne pas trop, je décide de finir le vol.
Après 20km de face ouest, j'aperçois l'Italie avec la Balise de l'Ortler. Il y a une grande transition en plaine pour accéder au relief qui rejoint la balise. Tout est sous les nuages à l'arrivée, ma seule chance reste de m'appuyer sur le vent de la brise de vallée à la fin de la transition. Je zérote avec la brise et pose à 2km de la balise. J'ai poussé au maximum l'avancée et il n'y a pas grand-chose pour poser. Je me pose sur un timbre-poste et en parachutale au milieu des arbres. Quand Nelson arrive, il me demande si j'ai vraiment posé ici ! Analyse des dégâts, 80cm de déchirure, mais par intermittence ce qui fait que ce n'est pas vraiment dangereux. On réparera ce soir.
Je passe la balise à pied et en tête du groupe. Jon Chambers, le premier des poursuivants, se pose en bas de la vallée. Les autres arrivent plus tard et de ce fait profitent du soleil ce qui leur permet de passer la balise en volant. Aaron me passe ensuite au-dessus de la tête en volant. Maurer a déjà 200km d'avance ! La course est jouée pour lui.
Je ressors de la vallée en marchant car la brise est trop forte pour espérer un beau vol. J'avance le plus vite possible pour essayer de rejoindre Aaron.
Le soir, j'arrive vers 20h au sommet d'une montagne. Aaron a fait un beau vol du même endroit et il est 20km devant. La météo est annoncée excellente pour le lendemain. Il y a une grosse confluence qui forme une rue de nuages dans la vallée. J'ai le choix entre prendre la rue de nuages malgré l'heure tardive ou aller me placer pour le lendemain sur la montagne d'en face lendemain sans avoir trop à marcher. PY et Nelson me poussent à me reposer et ne pas prendre le risque de rattraper Aaron, car si ça ne marche pas, il n'y a pas beaucoup de belles faces pour redécoller le lendemain matin plus loin. Je décolle et traverse la confluence qui est excellente avec 15km de vent dans le bon sens, mais je la laisse pour aller me poser à une altitude de 2000m, il est 20h30. Je me persuade que c'est le bon choix car je vais me reposer jusqu'à 7h demain matin.Je n'aurais pas une longue marche à faire pour aller rejoindre le décollage.
Je suis parti très léger pour la dernière ascension avant ce vol et je n'ai aucun vêtement, je suis transi de froid à attendre l'arrivée du camion. Nelson et Yves finissent par me rejoindre vers 23 h, je suis frigorifié et affamé, j'ai dû tourner en rond pour ne pas geler. Il faut réparer la voile et préparer la journée du lendemain, je n'ai pas eu mon repos tant rêvé !
Pendant ce temps, Jon me passe devant en passant au pied de la montagne en marchant.